Eléa

Monday, January 18, 2010

Chapitre 1

Mais il semble bien que ce ne soit que la triste et douloureuse réalité. Pas le temps de tergiverser, la jeune femme a sûrement besoin d'aide. Il court la rejoindre et ne peut que constater l'étendu des dégâts. Elle a échappé à la mort par strangulation mais c'est finalement sa chute qui lui a été fatale. Elle s'est empalée sur un morceau de ferraille au niveau du thorax. Son visage semble pourtant comme apaisé, par cette mort perçue comme un soulagement pour de trop nombreuses personnes. Le suicide est devenu la troisième cause de mortalité du pays, non loin derrière le meurtre et l'overdose. La jeune femme n'était pas très jolie. Ses traits sont vieillis par la consommation abusive de tabac, alcools et autres drogues dures. Ses cheveux mi-longs baignent dans une marre de sang qui s'élargie à vu d'oeil. Notre amnésique semble comme hypnotisé par le liquide rouge et sa lente progression, avalant lentement le bitume sur son passage. Bientôt, il atteint ses chaussures, épouse leur forme, et poursuit sa route. Pourquoi est-il attiré par ce sang ? Il se sent comme appelé, tel un papillon de nuit par de la lumière. Il a envi de le toucher, de le goûter... Pourquoi ? Il transpire, se crispe, tente de détourner son regard mais n'y parvient pas. L'attraction est trop forte. Il ne peut pas lutter. Il s'agenouille et ne pense plus qu'à une chose : boire. Il trempe son doigt. Une voix intérieure lui crie, lui supplie de ne pas continuer. En vain. Il porte son doigt à la bouche. C'est un vrai délice. Son corps tout entier frissonne de plaisir au goût de ce doux nectar et il en redemande. L'homme se penche sur le sol et commence à le lécher à la manière d'un chien. Une partie de lui voudrait se relever et s'enfuir, mais elle semble si loin, si faible. C'est tellement bon ! Le liquide encore chaud coule dans sa gorge et pénètre son corps, lui insufflant une incroyable énergie. Mais bientôt, il ne se contente plus de si peu et va puiser le fabuleux élixir à la source. Il arrache le morceau de métal, qui dépasse de la poitrine de la malheureuse et déchire son sweat-shirt, pour appliquer ses lèvres sur la plaie et aspirer avec délectation jusqu'à la dernière goutte. Il s'assied et profite des derniers instants de cet orgasme d'un nouveau genre. Avec sa langue, il parcourt le contour de sa bouche afin de récupérer ce qui s'y était égaré. Passé ce moment de plénitude, il reprend peu à peu ses esprits et commence à prendre conscience de son acte. Il regarde la jeune femme qu'il vient de vider comme on vide un lapin. C'est horrible ! Comment peut-on faire cela ? Il ne se demande plus qui il est, mais plutôt qu'est-ce qu'il est ? Et après réflexion, il se dit qu'il serait certainement préférable de ne rien savoir de son passé, plutôt que de découvrir quel monstre il a dû être ! Quelle bête immonde peut être assez méprisable pour boire le sang encore chaud d'un corps humain ! La nausée lui vient et il est prêt à vomir, mais son corps ne semble pas disposé à restituer ce qu'il a pris.

Tout à coup, du bruit vient de la rue principale. Le bruit des bottes de protection sur l'asphalte est reconnaissable. Les soldats ont dû être alertés par les coups de feu et ils viennent certainement pacifier la zone. Lorsqu'ils vont découvrir le cadavre de la jeune femme et un homme couvert de sang à ses côtés, ils ne se poseront pas la question de savoir ce qu'il s'est passé. Ils préfèreront tirer d'abord, afin de palier à tout éventuel problème. Il vaut donc mieux ne pas traîner. L'homme regarde malgré lui une dernière fois le visage de la défunte avant de se relever et courir dans la ruelle. Il prend la première bifurcation sur sa droite et continue de courir. Il court de toutes ses forces, à la fois pour échapper aux forces de l'ordre, mais surtout pour mettre le plus de distance possible avec ce qu'il vient de faire. Plus que sauver sa peau, c'est à cela qu'il pense en ce moment. Après un demi-kilomètre, il ne remarque même pas qu'il n'est pas même essoufflé, mais commence à ralentir et se demande s'il n'aurait pas mieux fait de rester là bas pour mourir. A quoi sert de vivre si c'est pour commettre de telles atrocités ? Il se revoit léchant le sol, puis s'acharnant sur ce corps sans vie, impuissant face à ses instincts primaires. Il s'arrête et regarde ses mains souillées de sang. Et si la prochaine fois il s'en prenait à une personne vivante ? Est-ce qu'il agirait également de la sorte ? Est-il un assassin sanguinaire incontrôlable ? Cette idée est insoutenable, en tout cas, il ne le permettra pas. Sur sa droite, une échelle de secours grimpe jusque sur le toit d'un immeuble. L'homme se dirige lentement vers les premiers échelons. Il ne se laissera plus dominer par cet instinct bestial et il sait comment y parvenir. Il se donne du courage, saisit la rampe et entame sa longue ascension. Un par un, les étages défilent. A cette heure, rares sont les fenêtres encore éclairées. Lorsque c'est le cas, il assiste à un bref passage de la vie des occupants de l'appartement. Arrivé sur le toit, au dix-huitième étage, il aura pu apercevoir une scène de ménage, un coma éthylique et les ébats sexuels douteux d'une demi-douzaine de personnes.

C'est loin d'être l'immeuble le plus haut des environs, mais la vue y est déjà excellente sur une partie de la ville. Le jour ne va pas tarder à se lever. Le vent vient de tourner. Il transporte une odeur de brûlé. Quelques rues plus loin, les bâtiments sont éclairés par une lueur orangée. Le feu de la voiture n'a toujours pas été maîtrisé. Il s'est même probablement propagé à l'immeuble dans lequel la poursuite s'est achevée. Au loin, on entend les sirènes des soldats du feu qui arrivent sur les lieux. Eux aussi ont fusionné avec les forces militaires et sont à même de riposter en cas d'agression. Trop de pompiers sont morts par le passé. Il y a cinq ans, une grève générale a causé de nombreuses pertes tant matérielles qu'humaines. Le conflit a débouché sur une formation militaire de tous les pompiers, qui sont maintenant armés et équipés de véhicules blindés. Notre amnésique s'est avancé jusqu'à l'extrémité du toit. Il monte sur la bordure et regarde en bas. Le véhicule des soldats du feu passe bruyamment, avant de tourner deux rues plus loin. D'ici, il a l'air minuscule. Il est suivi de près par l'équipe de nettoyage. Anciennement médecins légistes, leur mission a totalement changé. Ils ne font plus que ramasser les corps, qu'ils identifient lorsque c'est encore possible et qu'ils envoient ensuite directement à l'incinérateur. Aucune cérémonie n'est autorisée pour les criminels, et de toute façon, l'enterrement est devenu un luxe que seuls quelques riches notables de la ville peuvent encore se payer.

L'homme hésite. Dans sa tête, pas tout à fait une heure de souvenirs, tous plus sinistres les uns que les autres. Il n'y a vraiment rien qui le retienne, alors si en plus il parvient à éviter tout risque de faire du mal à quelqu'un... Cette pensée le réconforte un peu. Il sait ainsi qu'il aura fait quelque chose de bien dans sa vie. Il se rapproche un peu plus encore du bord. Les battements de son cœur s'accélèrent. Une partie de ses pieds est à présent dans le vide. Il se dit qu'après une telle chute, il ne devrait pas sentir grand-chose de toute façon. Il inspire profondément et expire lentement, comme s'il voulait profiter une dernière fois de l'air. Cette fois c'est bon, il est prêt. C'est un service qu'il rend aux personnes qu'il aurait pu blesser ou tuer. Une dernière inspiration...

- Je ne ferais pas ça si j'étais toi.

La voix, féminine, vient de derrière lui. Surpris, il est déséquilibré, chancelle, mais une main ferme le rattrape par le bras et le tire sur le toit avant qu'il ne chute.

- De toute façon, cela n'aurait servi à rien, poursuit-elle.

Le sauveur est une jeune femme au teint pâle, ce qui tranche avec ses longs cheveux noirs. Elle doit avoir dans les vingt-cinq ans et possède de magnifiques et grands yeux verts posés sur un visage doux et harmonieux. Si elle n'était pas vêtue d'une combinaison moulante de cuir noir, qui épouse parfaitement son corps sublime, on aurait pu croire qu'il s'agissait d'un ange tombé du ciel. Mais elle est bien là, en chair et en os, devant notre amnésique suicidaire qui se remet doucement de ses émotions.

- Ne vous approchez pas, lui dit-il, je suis dangereux ! C'est la seule solution ! Je ne veux faire de mal à personne. Merci pour ce que vous avez voulu faire, mais je dois en finir.

Il se tourne à nouveau vers le vide mais l'étreinte sur son bras se ressert.

- Tu ne te souviens de rien n'est-ce pas ?

L'homme se fige.

- Je sais se que tu ressens. Tu as l'impression d'être un monstre incontrôlable, ce que tu as fais te dégoûte profondément, mais une partie de toi en redemande. Et c'est ça qui t'effraie le plus. Tu as peur de reperdre le contrôle et c'est pour cette raison que tu veux sauter.

Stupéfait, il la dévisage, comme s'il tentait de trouver des réponses dans son troublant regard.

- Et oui, tu n'es plus seul au monde maintenant. Je m'appelle Mélia, et toi ?

D'abord hésitant, l'homme se décide à répondre.

- Je ne sais pas. Lorsque je me suis réveillé, je n'avais pas de papiers sur moi.

La jeune femme lui sourit.

- Il ne te reste plus qu'à en choisir un alors.

Les questions fusent dans la tête de notre amnésique. Qui est cet ange des ténèbres qui prêtant savoir ce qu'il ressent ? Est-ce qu'il lui est arrivé la même chose que lui ? Peut-il lui faire confiance ?

- Comment savez-vous tout cela ? Est-ce qu'il vous est arrivé la même chose ? Est-ce que ces pulsions meurtrières sont contrôlables ? Pourquoi ?...

L'émotion est trop forte. Il s'effondre en sanglots. Toute la tension accumulée se libère. Quelqu'un va peut-être pouvoir répondre à toutes les questions qu'il se pose. Pour la première fois depuis son réveil, l'espoir pointe enfin le bout de son nez. La jeune femme s'accroupie à ses côtés et pose sa main sur son épaule.

- J'ai traversé les mêmes épreuves que toi, je peux répondre à certaines questions que tu te poses. Je peux aussi t'aider à contrôler tes pulsions. Mais pas ici, pas maintenant. Il nous faut d'abord rentrer. Alors voici les deux solutions que je te propose. Ou tu décides de m'accompagner, ou c'est la dernière fois que tu me vois. Je veux bien t'apporter mon aide, mais c'est là ta seule chance. Sache seulement une chose, sauter ne changera rien à la situation.

L'homme relève la tête. Il ne comprend pas ce qu'elle veut dire par sauter ne changera rien et pour l'instant il s'en moque. Il vient de trouver un soutien inespéré et ne compte pas le laisser partir. Il se relève et essuie ses larmes du revers de la main.

- Je vous suis, dit-il. Où va-t-on ?

Mélia se relève également.

- Ne t'inquiète pas pour cela. Sache seulement que tu seras en sécurité et que tu as pris la bonne décision. Et arrête donc de me vouvoyer ! Cherche-toi plutôt un prénom.

Ils redescendent par l'échelle de secours.

- Comment tu as fais tout à l'heure, je ne t'ai pas entendu venir ?

- Les questions ce sera pour plus tard. Que penses-tu de Maël ? Ca sonne bien je trouve.

- Quoi ? dit-il en se demandant de quoi la jeune femme lui parle.

- Pour ton prénom.

- Ah oui c'est vrai. Je n'y pensais plus

- Ou alors Mattys ?

Le futur nouveau baptisé réfléchi un instant, avant de décliner. Ils mettent pied à terre.

- Ylan ?

Cette proposition semble l'intéresser d'avantage.

- Ylan... C'est pas mal ! Va pour Ylan, se réjouie-t-il.

Il y a moins de dix minutes, il était seul au monde et prêt à se jeter du haut d'un immeuble, il a maintenant une alliée et un prénom. Sa nouvelle vie se construit peut à peu, ce qui n'est pas pour lui déplaire. Il en oublierait presque le sanglant épisode de tout à l'heure. Presque seulement.

- Alors Ylan, sache que je suis désolée pour ça.

Il se retourne vers Mélia, interloqué. Il n'a pas le temps de lui poser la moindre question. La tranche de la main de la jeune femme vient frapper violemment sa nuque et il s'effondre inconscient. Une fourgonnette démarre en trombe de la ruelle opposée et s'arrête dans un crissement de pneus à côté de la belle inconnue. La porte du côté s'ouvre. Deux hommes en sortent et chargent le corps d'Ylan tandis que Mélia monte à l'avant, côté passager. En moins d'une vingtaine de secondes, ils repartent aussi vite qu'ils sont arrivés et rendent à la rue le calme qu'elle avait perdu.

Tuesday, January 12, 2010

Prologue


Au cœur de la nuit, il ne fait pas bon vivre dans les rues de Luire. Les inconscients qui s’y risquent le payent souvent de leur vie. La criminalité est en forte hausse et il ne paraît pas possible de freiner son élan dévastateur. Les gouvernements qui se sont suivis ont pourtant tenté de durcir les lois, notamment par la réinstauration de la peine capitale mais les efforts de la police semblent vains. Cette dernière a pourtant récemment fusionné avec les forces militaires du pays et sa mission a relativement évoluée. En effet, ils ne s’occupent plus des vols de voitures, ou des cambriolages… La protection des civils est devenue la priorité. Ils essayent donc de limiter viols, meurtres et trafics de drogues. Mais essayer, c’est déjà justifier l’échec. Seuls quelques utopiques rêvent encore à une amélioration. Pour le reste de la population, survivre, c’est déjà beaucoup.

L’ironie, c’est qu’il y a quelques années de cela, les médias mettaient l’accent sur le moindre fait divers afin d’effrayer la population, ce qui profitait au gouvernement en place. Ils basaient leur politique sur l’insécurité, qui était alors quasi-inexistante et maintenant que l’on est effectivement au bord du chaos, si leur but n’a pas changé, leur démarche est à présent totalement inversée. La situation qui se dégrade de semaine en semaine est tant bien que mal minimisée. Mais la population n’est pas dupe… Et il suffit de se promener dans la ville pour se rendre compte de l’ampleur de la crise. Vitrines brisées, carcasses de voitures carbonisées, et dégradations multiples ornent désormais les rues. Mais comme le dit le vieil adage, le malheur des uns fait le bonheur des autres : les entreprises du bâtiment et des travaux publics n’ont jamais été aussi nombreuses et en bonne santé. Mais la situation s’est dégradée à tel point qu’il arrive fréquemment de découvrir un corps inanimé au coin d’une ruelle sombre… Le tout est de ne pas se trouver sur place au moment où cela arrive, sous peine de grossir un peu plus encore la liste des disparus.

C’est peut-être ce qui est arrivé à cet homme, étendu au sol, derrière un tas de poubelles renversées. Il s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Il respire encore, mais dans ce monde de désolation, est-ce vraiment une chance ? Il se relève péniblement en se tenant la tête. Il chancelle, puis parvient à se stabiliser. Il semble perdu. C’est compréhensible pour quelqu’un qui ne se souvient de rien, pas même de son nom. Il doit avoir 25 ans, mesure un mètre quatre-vingt ou pas loin. Il est plutôt bien bâtit, sans toutefois ressembler à un bodybuilder. Bien habillé, il porte un pantalon et une veste noirs par-dessus un T-shirt blanc. Ses cheveux sont aussi sombres que son regard. Dans sa tête, tout se bouscule. Tout, sauf les souvenirs. La confusion est totale, mêlée à un soupçon de désespoir. Il fouille ses poches, à la recherche d’un indice, mais n’y trouve ni porte feuille, ni pièce d’identité, ni clef. Il n’a pas non plus d’argent, de montre ou autres objets de valeur, ce qui l’amène à penser qu’il s’est très certainement fait détrousser, avant de se faire assommer et laisser là pour compte. Il se penche sur une flaque d’eau afin de se regarder, et découvre son visage. Il le touche, dans l’espoir de se souvenir. Rien. C’est comme si il avait un étranger en face de lui, et c’est plus que déstabilisant. Il analyse son environnement. Quelque chose attire soudain son attention au milieu des ordures. Quelque chose brille. Il se penche et ramasse l’objet. Il s’agit d’un Desert Eagle, une arme à feu redoutable. Son agresseur l’a certainement fait tomber dans sa fuite. Il a peut-être été dérangé lors de l’agression. Mais tout cela n’a pas beaucoup d’importance. L’homme ôte le chargeur. Il reste la moitié des cartouches. Il le replace et coince le pistolet dans son pantalon, sous sa veste. Cela peut toujours servir, on ne sait jamais. Et maintenant, que faire ? Il ne peut pas rentrer chez lui, puisqu’il ne sait même pas où il habite et que de toute façon, il n’a aucune clef. Se rendre au poste de police le plus proche semble être la meilleure alternative, bien qu’il soit pratiquement sûr de se faire envoyer balader… Tant pis, il faut bien tenter quelque chose. Il ne va pas rester là indéfiniment à attendre que la mémoire veuille bien lui revenir. Alors qu’il s’apprête à se mettre en route, un sentiment étrange l’envahit tout à coup. Une sorte d’impression d’être surveillé. Il scrute la ruelle. Rien. Il décide donc de s’en aller et part en quête d’un commissariat ou, au pire, d’un plan de la ville, mais il ne faut pas trop y compter.

Il a bien fallu choisir une direction, il a donc opté, au hasard, pour la gauche. Il avance, ne sachant pas s’il s’approche ou s’il s’éloigne de son but. De toute façon, il ne peut compter que sur son intuition, car trouver une personne qui pourrait le renseigner sera difficile. Même au centre ville les voitures sont rares et les piétons quasi inexistants à cette heure. Il y a bien quelques drogués amorphes ça et là. Assis sur les trottoirs ou allongés dans les ordures, plus morts que vifs, ils ne sauraient indiquer rien d’autre que le chemin le plus direct vers une extase artificielle. Quant aux sans domicile fixe, ils n’arpentent plus les rues depuis bien longtemps. Quatre ans pour être précis. Depuis les incidents que les médias appelèrent cyniquement « le grand nettoyage ». Plus qu’une série de meurtres, c’est une véritable rafle qu’il y avait eu. Chaque matin, des dizaines de corps sans vie étaient ramassés. La raison de ce carnage n’a à ce jour pas encore été élucidée. Après quelques semaines, les S.D.F. ont commencé à se regrouper, pour former des groupes de défense afin de stopper ce fléau. Et c’est finalement une sorte de campement géant qui s’est créé à l’entrée de la ville, partant du principe indéniable qu’ils sont plus forts en nombre qu’isolés. Choix somme toute efficace puisque depuis les meurtres ont cessé. En tout cas, les médias n’en font plus acte, ce qui c’est vrai, n’est pas forcément un gage de vérité.

Soudain, une voiture, ou plutôt ce qu’il en reste, déboule à toute allure. Une berline noire aux vitres brisées, qui compte plus de bosses et de rayures que de trous sur le bras d’un toxicomane, fonce à vive allure. A son bord, quatre hommes lourdement armés tentent d’échapper à un blindé des forces armées qui les talonne. S’ils sont pris en chasse de la sorte, c’est que ce doit être relativement grave, sinon on aurait laissé courir. Des coups de feu sont échangés, mais lorsque le blindé arme son canon et ajuste le véhicule, il est clair que la poursuite touche à sa fin. Ils ne font pas de détail et le premier tir est le bon. La roquette percute le véhicule de plein fouet. Sous l’impulsion de la déflagration il va s’encastrer dans la façade d’un immeuble. L’impact est d’une telle violence que l’un des occupants est éjecté du véhicule. Quant aux autres, ils sont soit morts sur le coup, soit en train d’agoniser dans les flammes. Le blindé s’arrête. L’arrière s’ouvre et six militaires en combinaison noir en descendent. Fusil d’assaut, casque intégral, plastron et autres protections sont leurs outils de travail. Ils établissent un périmètre de sécurité tout en pointant leurs armes en direction de la voiture et du rescapé, qui gît sur le sol. L’un d’eux s’approche de lui.

- Vous êtes accusé de vol à main armé et du meurtre de deux agents de sécurité, qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

Aucune réponse de l’intéressé, qui est au bord de la perte de connaissance et dont ses blessures ne lui donnent qu’une courte espérance de vie.

- L’accusé ne nie pas, reprend le soldat. Il est donc reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés. En vertu de l’article trent-six du nouveau code pénal, la sanction pour de tels actes est la mort. Elle est applicable immédiatement.

Le militaire plaque son arme contre la tempe du condamné et tire.

- Affaire classée, termine-t-il.

- Six, trois, trois à QG. Fin de la poursuite. Demande équipe de nettoyage et véhicule d’intervention anti-incendies à l’angle de Bergson et Mercier.

C’est ainsi que se terminent la plupart des prises en chasse. Notre amnésique a assisté à toute la scène, caché dans la pénombre, au coin d’un immeuble. L’idée d’aller demander de l’aide aux agents des forces de l’ordre a bien traversé son esprit, mais au vu de ce qui vient de se passer et de l’arme qu’il détient, il a rapidement renoncé à cette idée, histoire de ne pas subir le même sort que les quatre autres pour détention illégale d’arme à feu. Il ne s’attarde donc pas et poursuit sa route.

Quelques centaines de mètres plus loin, il entend des bruits de lutte provenant d’une ruelle perpendiculaire. Les cris d’une femme déchirent la nuit. N’écoutant que son courage, il se précipite dans la ruelle, arme à la main, prêt à faire feu sur les agresseurs. Il découvre un homme d’une petite trentaine d’années et relativement musclé qui brutalise une femme du même age. Son regard est vide et elle tente à peine de se défendre. Ce doit être une droguée en état de manque. Son agresseur tente certainement d’en profiter pour la violer. Notre amnésique pointe son arme sur lui et crie :

- Arrête ça enfoiré, ou je tire !

L’agresseur le regarde, imperturbable, sans lâcher la jeune femme qu’il tient à la gorge. Elle est en train de suffoquer.

- Encore toi… Lâche-t-il impassible. Ce qui interpelle le courageux sauveteur. Est-ce que cette brute est son agresseur ? Le salopard à cause de qui il ne connaît même plus son propre nom… Range ton joujou et tire-toi, avant que je ne m’énerve pour de bon, continue la brute.

Un coup de feu est tiré en l’air. L’homme lâche sa victime, qui s’effondre inanimée, et jette un regard noir au pseudo héro.

- On dirait que t’as pas bien compris ce que je t’ai dit !... Casse toi ou je t’arrache un bras pour te défoncer le crâne avec !

Légèrement déstabilisé par l’assurance de son opposant, l’amnésique ne se démonte pas.

- C’est toi qui n’a pas l’air de comprendre ! Je suis armé et je n’hésiterai pas à tirer si tu ne la laisses pas tranquille !

Pour toute réponse, la brute se dirige vers lui, un sourire aux lèvres.

- Je t’aurais prévenu connard !

Un coup de feu Cette fois la balle n’est pas perdue, et vient se loger dans l’épaule droite de l’agresseur, qui marque un temps d’arrêt, avant de reprendre sa marche, l’air agacé.

- Tu commences à me chauffer p’tit con ! J’espère que tu cours vite, sinon je crois que je vais un peu jouer avec toi avant de t’achever !

Notre amnésique, bien que décontenancé par l’effet plus qu’inattendu qu’a eu son tir, réitère à plusieurs reprises. Une, deux, trois puis quatre balles viennent rejoindre la première dans le corps de cette force de la nature, sans même qu’il sourcille. Il fond sur son opposant et saisit l’arme, qu’il envoie voler à plusieurs mètres. Il tente d’attraper sa nouvelle victime à la gorge mais ce dernier s’empare de son bras et se sert du poids du colosse pour le faire valdinguer dans les poubelles. Il est impossible de savoir lequel des deux est le plus surpris par cette réaction inattendue. L’amnésique se voyait déjà réduit en miettes mais a réussi ce tour de force avec une étonnante facilité. L’agresseur marque un temps d’arrêt, avant de se relever et de revenir à la charge. L’amnésique évite un premier coup de poing, puis un second, avant de profiter d’une faille dans la garde de son adversaire pour le frapper à l’abdomen. Le coup est d’une telle violence, que ce dernier met un genou à terre, en se tenant le ventre. Il relève la tête juste à temps pour apercevoir le poing qui vient s’écraser sur sa mâchoire. Il roule sur le côté avant de se relever et de fuir en courant sans demander son reste. Notre inconnu est debout, aussi abasourdi que si c’était lui qui avait pris les coups. Il regarde ses mains, celles-là même qui viennent d’infliger une sévère correction à ce colosse que les balles d’une arme à feu n’ont pas arrêté…

- Cette fois c’est sûr !... Tout ceci n’est qu’un cauchemar et je vais bientôt me réveiller.

Dois-je continuer à écrire ?